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considérations littéraires, musicales, cinématographiques, politiques et philosophiques...
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30 septembre 2017

petit chef-d'oeuvre de la littérature française...

Le chemin des écoliers 1

 

Il y a tout juste un mois, c'était la rentrée des classes ! Comme tous les ans, en septembre, fallait préparer son cartable et étudier son emploi du temps, quitte à conquérir de nouvelles modifications d’emploi du temps et de salles auprès de l’administration ou de ses collègues... Voici donc venu le temps des agitations, des coups d’épée dans l’eau et des cours où les élèves s’ennuient et se demandent ce qu’ils fichent ici. Ce roman de Marcel Aymé qui a de magnifiques tonalités de gris, j'ai d'abord voulu le trouver à la médiathèque, et là, comble du comble, quelle ne fut pas ma stupeur lorsqu’on me fit la remarque suivante : on ne l'a pas en magasin, parce que ça ne se lit plus Marcel Aymé (sic). What the heck ? Comment ça, ça ne se lit plus Marcel Aymé ? C'est quoi ces bêtises ? Et La Vouivre, ça ne se lit plus peut-être ? Et Uranus, La Jument Verte, Le Passe-Muraille, non plus ? Ça a de quoi vous déprimer longtemps ce genre de remarque absurde. On essaie alors de vous trouver une édition de la Pléiade, mais ça sera pour un autre jour parce que celle-ci se trouve dans une autre bibliothèque, mais on peut vous la précommander (sic). Bref, inutile d'ergoter plus longtemps, je me suis avisé d’aller chercher ailleurs un exemplaire du roman. L'édition Folio est quant à elle épuisée (ce qui prouve que ça se lit encore, Marcel Aymé !). En tout cas, c'est sans doute, avec Louis Aragon, le romancier que je préfère de cette période d'après-guerre (et même avant, car, Marcel Aymé, faut-il le rappeler, a commencé sa carrière d'écrivain à la fin des années 20). Malgré l'état poussiéreux de l'engin, les pages jaunies et l'odeur âcre de cette édition, ce fut un régal de lecture. Mieux, j'y ai trouvé un souffle, une vie. Tous les personnages sont gris, de Michaud (le père) à Lolivier (le collègue) en passant par Hélène (l'épouse souffreteuse) et les enfants (l'inoubliable Antoine), Yvette (la maîtresse) ou encore Lina (la femme juive qui craint d'être dénoncée puis arrêtée par la Gestapo).

Le contexte ? La France occupée des années 40, Paris, le marché noir (l'histoire se passe pendant la seconde guerre mondiale). Marcel Aymé livre ici un roman mordant, piquant, et même très réaliste (un peu dans la veine de Zola et Balzac). C’est parfois violent, souvent rusé mais bougrement intelligent. Son observation des mœurs de l’époque est pointue et haute en couleurs. Et vous, les rêves, vous les voyez comment ? En couleur ou en noir et blanc ? Enfin l'écriture est l'une des plus belles, l’une des plus magistrales qui nous soit donnée de goûter. Les phrases claquent, le rythme s'emballe, les gestes sont décrits avec la précision d'un horloger. Les conditions de vie sont déplorables à cette époque de corruption généralisée. Les caractères et les pensées les plus profondes se révèlent : Michaud, le bon père de famille qui a une conscience morale et essaie de faire vivre sa petite famille tout en se coltinant Lolivier, un collègue médiocre proche des idées hitlériennes (complètement gâteux par ailleurs devant une petite souris, et ayant un fils complètement « largué »). La tension est palpable dans ce Paris des années 1943-1944. Pendant ce temps, le petit Antoine, élève plutôt brillant (il est le fils de Michaud), enfant doux et naïf, doté d'une intelligence affective au-dessus de la moyenne, s'éprend de la jeune Yvette, vingt six piges, et dont le mari est tenu prisonnier en Allemagne... Le diable au corps est passé par là, forcément… Le jeune adolescent va sous l'influence de celle-ci faire l'expérience du marché noir. Des pages truculentes d’une noirceur, d’un cynisme et d’une ironie cinglantes. C'est, je le répète, de la grande littérature. Et pour moi, bien évidemment, Le Chemin des écoliers, s'incarne en un chef-d'œuvre qu'il n'est pas permis d'ignorer aujourd'hui encore. Le temps de se poser, pendant quelques heures, et hop, on se délecte à la lecture de pareil ouvrage, on note des passages inoubliables ici et là. Bref, inutile d'en dire davantage (1), si ce n’est le roman qui m’a accompagné tout au long de ce mois de septembre.

Cela dit, on se souviendra longtemps de tous ces portraits, comme celui de la femme de Lolivier (Josy) avec sa « tête de rombière, malpropre et vulgaire, étalée sur l’oreiller au-dessus des photos accrochées au mur, qui évoquaient trente ans de sa vie de music-hall, trente ans de figuration, d’espérance rogneuses, de tentatives claquées, de vaines intrigues, de colères envieuses et de récriminations contre l’injustice du sort et des directeurs, pour ne rien dire des coucheries avec Pierre et Paul, le plus souvent intéressées et toujours inutiles ». Ces portraits au vitriol de toutes les couches sociales de la France d’alors se teintent de laideur, la laideur des sentiments accordée à l’extérieur des êtres, une laideur qui semble, forcément, en être la conséquence naturelle. Marcel Aymé règle vraiment ses comptes avec toute la société, qu’elle soit corsetée, hypocrite, même le bon Michaud n’y échappe pas. Les femmes n’ont pas toujours le beau rôle, ni « l’aisance gracieuse des attitudes, ni la perfection des formes ou la vivacité d’une expression qui retiennent l’attention » (sic). Le roman se lit avec joie et délice. Il y a des passages franchement excellents. Tout y est excellent en fait. Intensité des gris, saveurs d’un réalisme insupportable, âpreté et cynisme. Vous retrouverez aussi Antoine, portrait du bachelier de l’époque, en cours d’histoire ou au bras de sa maîtresse. En classe, avec ses camarades face à un professeur qui se lance tout à coup dans un cours lyrique sur les Girondins... Les élèves ne communient pas avec lui mais l’écoutent respectueusement, ou vaquent à d’autres occupations (Antoine qui lit le Tartufe de Molière, pendant ce cours très particulier…). Discussions inoubliables aussi entre les deux jeunes amis, Antoine et Pierre Tiercelin, dit « Paul », un gamin cossu et très cultivé, fin observateur, issu d’un milieu plus aisé que celui d’Antoine. Leur discussion autour des femmes, mais aussi sur l’avenir, leurs interrogations et leurs conseils respectifs, tout cela est non seulement amusant mais jouissif (il y a aussi de l’humour chez Marcel Aymé).

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(1) Publié en 1946 chez NRF/Gallimard, Le Chemin des écoliers est un « incontournable » de la littérature française. Folio serait toutefois avisé de le rééditer en format de poche.

 

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