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considérations littéraires, musicales, cinématographiques, politiques et philosophiques...
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20 mai 2016

Marcus Strickland dans un projet mi-figue mi-raisins... * *

Marcus Strickland's Twi-Life "Nihil Novi" (album trailer)

Tout dépend de ce que l'on attend d'un disque. Si l'on veut une musique pour ambiance « lounge » un peu jazz, un peu soul, un peu R'n'B, ou un peu tout cela à la fois, celui-ci devrait faire l'affaire. Maintenant, si l'on cherche un disque exigeant, une expérience sonore inoubliable, on ira voir ailleurs… « Rien de nouveau » de toute façon, comme le rappelle le titre de cette galette d’une banalité affligeante publiée par Blue Note en mai 2016. Bon, il est clair qu’il faut aussi parfois se défaire de quelques préjugés avant d’évaluer un disque : l’écouter un nombre de fois suffisant après un temps de latence nécessaire me paraît toujours une bonne démarche. Seulement voilà, il est bien dommage (constat sans appel après une après-midi à l’écouter en boucle) que le saxophoniste se soit enfermé dans un projet pareil (Il s’agit de son premier album sous le légendaire label). Projet alimentaire ? Sans doute. De toute façon, faut plaire au plus grand nombre aujourd'hui... Et comme le jazz ne se vend quasiment plus (moins de 3% des ventes globales en terme de musique), on en arrive à ce genre de production consensuelle… Autant élargir la « palette » donc, quitte à se compromettre… Car après tout, ce qui compte, au delà des chapelles, ce sera toujours… la Musique. Et celle-ci « dira » beaucoup de choses… ou au contraire, bien peu… Bien plus qu’un disque de Marcus Strickland, ce « Nihil Novi » est surtout la signature de Meshell Ndegeocello (elle en est la productrice). La bassiste est bien connue des amateurs. Les aficionados du RH Factor de Roy Hargrove et de D’angelo devraient également apprécier (textes lus, climats hip hop, soul). Hélas, l'ensemble est loin d'être inoubliable... La faute sans doute à une production de plus en plus conformiste et consumériste…

 

Il s'adressera sans doute à un public « branchouille » (ou qui croit l’être…), et qui n'en a rien à foutre du jazz ou du parcours de tel et tel musicien. Tant que la musique procure un bien être immédiat, qu’elle ne prend pas la tête, qu’elle se consomme comme du jus de carotte, ça ira... il y a certes du travail derrière cette production Blue Note (un comble quand on y repense, mais Blue Note a toujours été fidèle aux tendances de son époque, aux modes, etc.), mais c'est quand même, ne nous y trompons pas, un disque bien à l'air du temps. Entre morosité ambiante, vide intersidéral, prêche conservateur (« Cherish Family »), et annonce pré-apocalyptique (le saxophoniste vêtu tout de noir, entre prêtre et gourou d'on ne sait quelle secte...), « Nihil Novi » nous parle sans doute de notre condition humaine caractérisée par l’ennui généralisé, l’aliénation ou l’apathie. En tout cas, il semble raconter un peu tout cela… Déprimant. Tandis que je le réécoute (Le titre est tiré d'une citation latine, mais la racine du mot « nihil » trouvant la même racine que le mot « nihilisme » n’aura échappé à personne…), l'intention est claire: produire un jazz dont l'esthétique caresse forcément l’auditeur dans le sens du poil avec des jus de basse bien sentis. Ainsi il n’y a rien à dire de cette époque… Seul comptent le vide et le plaisir immédiat. Les soufflants assurant le minimum syndical. On pourra toujours reprocher au saxophoniste de se noyer dans ces nappes électro, ces samplers et autres remixes. Et surtout d'être si peu entendu, même quand il enfourche le soprano…

 

Le constat est sans appel et cela est fort regrettable car l'ancien saxophoniste de Roy Haynes a un potentiel énorme. Bref, au risque de me tromper, je ne crois pas que ce disque fera date, même s'il reste à ce jour le projet le plus personnel de ce musicien natif de Floride (Marcus Strickland est né en 1979)... Pourquoi ? Parce qu'il part un peu dans tous les sens (on aura même droit à des sonorités légèrement reggae sur « Sissoko’s Voyage »). Bref, voici un album qui se  perd dans des notes superflues. Un album pharmacologique, sans direction ni décision bien déterminée... En somme, pour moi c’est le genre de disque qui ne s’assume pas. Trop d'influences (mal digérées?). D'Angelo, Ndegeocello, Prince, Henry Mancini... En voulant trop en dire, le leadeur perd ainsi le fil conducteur de son propos (à tel point que le saxophoniste ne sait où vraiment aller, ni dans son jeu ni dans les compositions...). La talentueuse Meshell Ndegeocello (que l’on a vu en concert et dont le groove n’est un secret pour personne) y laisse forcément son empreinte, mais tous ces samplers, et cette voix façon Norah Jones (« Alive »), avec ces remixes, me laissent des sentiments très, très mitigés et si la seconde partie est bien plus passionnante que la première (le superbe « Mirrors »), cela reste au mieux un disque sympathique au pire un ersatz, un disque très hétérogène, voire très complaisant par endroits (1)... Ambiance « lounge » donc qui, malgré tout, laissera une empreinte pour consommateurs avertis et illustrera cette décennie qui a peur de prendre des risques (musiciens y compris). Disque « collector » dans quelques années ? Même pas sûr...

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(1) Les musiciens aux côtés de Marcus Strickland (clarinette basse, saxophone ténor, saxophone soprano et alto) : Yuki Hirano est aux claviers, Mitch Henry à l’orgue, Kyle Miles à la basse, Charles Haynes à la batterie. Jean Baylor (la chanteuse) figure sur quelques plages. Au final, laisser pareille évaluation m’attriste un peu, car j'ai beaucoup d'estime pour ces musiciens (y compris Meshell Ndegeocello), et il y a des idées bienvenues au niveau des arrangements (« Celestelude »). Mais c'est un disque plein de nougatine, rien de plus. Et rien de moins.

 

Marcus Strickland Nihil Novi

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