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considérations littéraires, musicales, cinématographiques, politiques et philosophiques...
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20 mai 2016

En état d'éveil permanent... * * * *

 

Voici un album étonnant gravé par un saxophoniste plutôt méconnu : Jimmy Woods. Le jazz qu'il nous propose est d'une grande fraîcheur. C'est bien sûr du hard-bop mais assez loin des stéréotypes propres au genre grâce à des compositions d'une insolente beauté. Les musiciens qui participent à ce projet sont par ailleurs dans un état de grâce perpétuelle (inspiration en termes de jeu, compositions et sonorités inoubliables). On pourrait même avancer qu'il s'agit d'un jazz à la lisière de l'avant-garde (1) et qui ne cessait, à cette époque, d'attirer de tout jeunes talents (que l'on songe à Sonny Simmons et Ornette Coleman!). C'est toute cette période effervescente dont témoigne cet Awakening!! réédité dans une édition de luxe (bordures arrondies aux extrémités du compact, notes de pochettes très instructives et surtout une prise de son exceptionnelle - le disque aurait pu être enregistré cette année, l'on ne verrait pas la différence!). On est d'abord frappé par la sonorité de l'ensemble, par l'évidence de cet enregistrement et la sincérité de Jimmy Woods qui signe donc son premier enregistrement en leadeur. Autant dire un coup de maître ! Awakening!! publié par le label Contemporary records en 1963 est une franche réussite (session gravée le 19 février 1962..) et gagne en maturité au fil des écoutes... Bref, si vous recherchez la qualité en matière de jazz, ce disque vous deviendra vite indispensable. Une valeur sûre en tous les cas ! Et pourtant, le saxophoniste est encore un inconnu pour beaucoup d'entre nous; passer à côté de cette galette sulfureuse serait forcément une grossière erreur.

Cette session studio est également l'illustration d'un musicien qui a su trouver un partenaire de luxe, lequel deviendra son alter ego. Constituant un tandem soudé avec le trompettiste Joe Gordon (un peu comme Charlie Parker avec Diz, Brownie avec Harold Land, ou encore Joe Henderson avec Kenny Dorham), Jimmy Woods est alors un homme heureux : l'évidence de leur complicité est palpable en tout point (osmose, sens de l'écoute, contrepoints, réponses...). Au saxophone alto, Woods possède une sonorité extraordinaire, d'une pureté et d'une précision diabolique (il suffira d'écouter l'ouverture sur Love For Sale joué en solo absolu pour s'en convaincre....). Libre de toute influence (même si les critiques ont répété qu'il se situait entre Ornette Coleman et Art Pepper), Jimmy est un écorché vif, et en même temps un parfait gentleman. Cela se ressent dans son phrasé maîtrisé. Joe Gordon s'avère être son parfait complice donc. Dommage de ne le retrouver que sur deux plages (sur les autres, l'on trouvera le méconnu Martin Banks). Quant à la section rythmique, celle-ci est composée de Amos Trice au piano (sur deux plages seulement, puisque sur les autres on trouvera Dick Whittington). Jimmy Bond est à la contrebasse et Milt Turner à la batterie. Pour les pièces interprétées en quartette, c'est le tout jeune Gary Peacock qui fera office de soutien rythmique avec Milt Turner...

Le répertoire est là encore d'une qualité qui laisse pantois, j'insiste vraiment sur ce point. Alternant compositions originales, (toutes sont de Jimmy Woods) et deux standards (Circus de George Russell et une version d'anthologie de Love for Sale, composition signée Cole Porter, une interprétation qui ne souffrira pas la comparaison avec la version de Miles avec John Coltrane, dans leur album historique intitulé '58 Sessions...). Au cours de ces 43 minutes de plaisir intense, l'on mesure ainsi toute la grandeur du jazz dans ce qu'il a de jouissif (prises de risques, authenticité dans le discours, sincérité des musiciens, clarté du phrasé, arrangements somptueux). Parce que, dîtes-vous bien une chose, ce disque vous fera un bien fou !!! Les ruptures harmoniques et rythmiques entre les plages, et même au sein de chaque morceau, témoignent d'un savoir faire impressionnant, ainsi que d'une prise de risque plutôt rare. Inspiration en termes de jeu et en termes d'écriture aussi (l'on saluera Roma avec ses paroxysmes, ses volutes magnifiques, l'enchaînement des idées, ou encore Little Jim, pièce modale remarquable basée sur un mid-tempo hallucinant). Les pièces, tout en étant complexes, sont aisément accessibles, alternant hard-bop, jazz modal et free-bop. Encore une fois, la qualité des intervenants ne fait aucun doute. Bref, cette galette, c'est de l'or en barre, et l'on ne manquera pas de se la procurer (2).

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(1) Jackie McLean et Eric Dolphy avaient montré la voie, n'est-il pas vrai?

(2) Je suis choqué par les prix affichés sur le site. Je m'étais procuré cette galette il y a quelques années pour la modique somme de 8 euros. Cette spéculation est vraiment écoeurante. Bref, ce message est aussi un appel à une réédition de la part de Contemporary Records. Mais bon, vu le développement des plateformes (albums en streaming), je pense que l'objet disque va devenir, petit à petit, objet de collection. Désolé, mais pour moi, ça n'est pas ça la culture...

Jimmy Woods Awakening

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