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considérations littéraires, musicales, cinématographiques, politiques et philosophiques...
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16 mai 2016

duo poétique... * * * *

Michael Alizon Ft. Jean-René Mourot - Hors Champ - Les Couloirs du Temps

 

Disons-le d’emblée : c’est une surprise de taille, pour ne pas dire un moment unique, un moment rare et privilégié. Le saxophoniste Michael Alizon en duo avec le pianiste Jean-René Mourot, deux musiciens de la scène hexagonale (retenez bien ces deux noms), nous offrent un disque musqué, poétique et dont les circonvolutions musicales nous font un bien fou. Mieux, c’est un disque de toute beauté, de ces disques bien trop confidentiels pour que l’on puisse en parler à tort et à travers. Je ne connaissais aucun des deux artistes ici présents (âgés à peine d’une trentaine d’années, ils ont joué avec pas mal de leurs confrères). Mais dans ce dialogue, une chose est certaine : ces deux équilibristes jouent et s’expriment dans un art du dialogue que l’on croyait irrémédiablement perdu. Musique cinématographique et rêveuse, pour ne pas dire brumeuse, évoquant chez celle ou celui qui l’écoute un imaginaire fécond, « Les Couloirs du Temps » est un grand moment de musicalité. Les deux musiciens qui semblent composer en improvisant et improviser en composant, voués corps et âme à la Musique, nous offrent près d’une heure d’ivresse et de rêverie noctambule. Point « facile » (mais qu’est-ce qu’une musique facile ?), mais point savante non plus, « Les Couloirs du Temps » est le fruit d’un immense travail sur l’échange et les compositions. Il s’adressera avant tout aux amateurs de jazz et de musiques improvisées qui veulent savoir où l’on en est dans l’Hexagone en termes de création jazzique. Plus classique que n’est le duo de Matthieu Donarier avec Sébastien Boisseau (Wood publié par le label Yolk), « Les Couloirs du Temps » n’en demeure pas moins important, tout simplement parce que la musique y est d’une exigence inouïe, mais aussi d’une fraîcheur et d’une poésie incommensurables.

 

Gravé en studio en janvier 2015, « Les Couloirs du Temps » possède de surcroît un espace vital tel que l’on y côtoie toutes sortes de climats (entre Debussy et même Bernard Hermann). Les sonorités du saxophone ténor de Michael Alizon sont rondes et veloutées. Superbes (1). Au saxophone soprano, il est d’une belle assurance également (extraordinaire sur « Subrepticement » et « En aparté »). Quant à Jean-René Mourot, ses interventions, son art du dialogue sont tout bonnement sublimes, axant son jeu sur des ostinatos tantôt sombres tantôt nerveux, tantôt langoureux. Du grand art ! Son sens de l’espace et de la répartie, en font un exégète impressionnant. Mais au-delà de la technique et de la clarté instrumentale dans une telle performance, jamais l’auditeur ne ressentira l’ostentatoire ou la démonstration. La dramatisation de certaines pièces (« Bille en Tête ») est toujours au service d’émotions rares et renouvelées. Tableaux de maître, aquarelles somptueuses, « Les Couloirs du Temps » évoquera tantôt le piano de Paul Bley (« En aparté »), tantôt celui des grands interprètes de musique classique.

 

Le plaisir et la qualité d’écoute sont tels que c’est un disque vers lequel on reviendra forcément. Après les deux premiers thèmes (« Le Monde des Ondes » et « Hors-Champ »), c’est donc un récital très intimiste, à réserver aux musiciens et aux mélomanes. On admirera la tendresse dans « Temps Confidentiel », chef-d’œuvre de musicalité absolue, sans que celui ne tombe dans la sensiblerie ou le récit mièvre. Ce thème vous vrille l’âme comme ça n’est pas permis. Au fil des écoutes, la certitude de tenir une perle rare donc, où le temps s’arrête, où plus rien ne compte si ce n’est la Musique qui nous est servie sur un plateau d’argent ! Loin de l’esprit consumériste et aseptisé que je redoute tant en ces temps d’anesthésie générale, « Les Couloirs du Temps » est une œuvre indispensable. Ce sont des musiciens, c’est une musique qu’il faut vite retrouver dans nos salles de concert. Inspiré du jazz, des musiques improvisées et même du cinéma (comment ne pas songer à « Vertigo » en écoutant le sublime « Hors-Champ » ?), les deux artistes donnent à entendre un art du dialogue rare. Le leitmotiv étant le temps : le temps passé, le temps présent, mais aussi le temps de la rencontre, le temps du silence, le temps suspendu… Je laisserai le dernier mot à un critique (Henning Bolte) publié sur le site « allaboutjazz » et qui résume très bien mon sentiment : « Le concert peut s'apparenter à un récital chambriste et intimiste, sans aucune forme d'électronique, entièrement acoustique. Dans les compositions, on retrouve une écriture contrapuntique et rigoureuse, dans un jeu de précision, et des moments improvisés en rapport avec les éléments d'écriture, le tout dans une conscience de l'instantané. La complicité entre les deux musiciens permet un jeu très varié dans les dynamiques, et une grande spontanéité dans le déroulement des pièces. La légèreté de la formule permet un espace de liberté, et de surprise dans l'interprétation du répertoire ».

 

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(1) Le saxophoniste a également publié un ouvrage (Le Jazz Facilement, aux éditions Dhalmann), une méthode d’initiation au Jazz et à l’improvisation. Enfin un grand merci à Franpi Sunship pour la découverte de cette pépite.

 

 

Les Couloirs du Temps

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Commentaires
F
Très... ;)
F
C'est vrai qu'il est sympa ce disque :)
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