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considérations littéraires, musicales, cinématographiques, politiques et philosophiques...
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20 septembre 2016

le standard trio de paul bley...

Paul Bley Trio - The Nearness of You

 

A une époque où le trio de Keith Jarrett connaissait un succès retentissant avec son « Standard Trio » (voir Setting Standards New-York Sessions, un coffret réunissant ses trois premiers volumes), Paul Bley gravait de son côté une kyrielle d’albums en petite formation (duo, solo, quartet), gagnant en intérêt au fil des écoutes. Pour ce qui est du trio, le pianiste canadien rappelait l’esthétique de son cadet. Un comble quand on y repense, parce que Paul Bley avait bien sûr tout appris au jeune Keith Jarrett. En tout cas, ce dernier lui était redevable. Il en est ainsi parfois de quelques élèves, qui finiraient par nous faire croire qu’ils ont dépassé le maître parce que, d’une certaine manière, ils ont eu plus de succès que celui-ci (que l’on songe à Fred Hersch et son élève Brad Mehldau…). On trouve donc un Paul Bley jouant des standards bien achalandés, très populaires et très accrocheurs, entre ballades et morceaux mid-tempo. Le format du trio n’a jamais été un secret pour lui (que l’on se souvienne de son trio avec Steve Swallow et Pete La Roca au début des années 60). A cette époque, il entame sa quatrième décennie de musicien accompli. Avec « Nearness of You », il prend surtout le temps de raconter avec tendresse et conviction des moments uniques, faisant sonner son piano avec une clarté lumineuse. Et puis, il est clair que cet album regorge de pépites, on n’insistera jamais assez sur ce point. Dans la même collection, il m’apparaît même plus réussi que Questions et My Standard (gravés respectivement en février et décembre 1985).

La tonalité de l’ensemble est vraiment « relax », le répertoire étant essentiellement constitué de ballades. Rappelons enfin que le pianiste avait délaissé, ou disons mis entre parenthèses, ses explorations « free » pendant tout ce temps (les années 80) où il se trouvait en Europe (comme vous le savez, il fut avec Ornette Coleman l’un des pionniers en la matière). En effet, dès lors qu’il enregistrait pour les labels Steeplechase, Owl, Soul Note ou le label canadien Justin Time, le pianiste revenait à un jazz plus détendu, beaucoup plus balisé et même très sophistiqué. Point de « concept » ou de recherches comme dans ses albums parus sous le label ECM. On a parfois des clichés sur les musiciens issus du free. Et c’est bien dommage. La production du pianiste par le label danois dément tous les stéréotypes imaginables. Un vrai et bon musicien sait jouer de tous les styles, et Paul Bley était forcément de ceux-là (1).

Pour cette session studio du 21 novembre 1988 que j’écoute beaucoup ces temps-ci, la critique s’est montrée plutôt tatillonne, voire pusillanime. Trois étoiles pour Penguin Guide, quatre pour AllMusic. Pour ma part, sans crier au « chef-d’œuvre absolu » qui, pour vous donner une certaine idée, correspondrait à ce que je ressens à l’écoute de Open, To Love, son plus grand disque solo ou Not Two, Not One, l’une des plus belles illustrations d’une performance en trio avec Gary Peacock et Paul Motian et l’une des plus exigeantes qui soit, « The Nearness of You » ne démérite pas et se hisse même sans problème parmi les plus grandes réussites du pianiste dans cette configuration si prisée, le trio tout acoustique. Encore une fois, si vous aimez les trios de Jarrett, et j’oserais même dire, ceux de Bill Evans (bien que les deux hommes aient toujours eu une approche différente), ne manquez pas celui-ci, vous ne sauriez être déçu(e)s. Ron McClure est à la contrebasse (superbe sonorité, une présence, une écoute et un jeu singulier) et Billy Hart à la batterie (gardien du tempo, il n’hésite pas à casser le rythme, parfois à la manière d’un Paul Motian). Soit deux coloristes qui contribuent à leur manière aussi à la réussite de cette petite pépite.

Bref, c’est sans aucun doute un grand disque de trio jazz. Pour moi s’entend. Même si j’ai parfois quelques réticences avec l’usage de la cloche par le batteur, notamment sur la première plage (« This Can’t Be Love », une pièce signée Lorenz Hart et Richard Rogers). Billy Hart emploiera le même stratagème sur « What A Difference A Day Makes », plage 3, « Blues in the Closet », la composition d’Oscar Pettiford, plage 5 et enfin sur « Take the A Train », le tout dernier titre…). Rien de bien dramatique cela étant dit. Sur les thèmes suivants, « The Nearness of You », et surtout « These Foolish Things » et « We’ll Be Together Again », le batteur se fait carrément plus feutré. D’ailleurs, on tient là trois parfaits exemples de ballades maîtrisées et d’une beauté à faire pleurer (sans pour autant tomber dans la sensiblerie). Trois chefs-d’œuvre de raffinement et d’interaction. De la tendresse, de la retenue, tout y est. Ron McClure offre un soutien impeccable avec une sonorité magnifique (comme il l’a été dit pour l’un de ses tout premiers enregistrements auprès de Wynton Kelly, Full View), bref ce contrebassiste que je trouve encore sous-estimé savait y faire, y a pas à dire. Avec « Lullaby of A Birdland » (composition de George Shearing), le trio reste dans des repères bien balisé, mais fichtre, ça swingue, ça joue, ça pulse avec une belle énergie et une finesse dignes des meilleurs trios de Steve Kuhn et de Fred Hersch. A découvrir de toute urgence !

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(1) Comme le rapporte Guy Renard dans le numéro de Jazz Hot de janvier 2016 (quand nous a quittés le pianiste), la carrière de Paul Bley « s'est déroulée sur près de six décennies, et elle a suivi toutes les évolutions matérielles et stylistique du jazz. Il a débuté dans le bebop enregistrant avec Charlie Parker et, cette même année 1953, il joue avec Charles Mingus. Quatre ans plus tard à Los Angeles, il réunit un quintet avec un tout jeune Ornette Coleman et montre ainsi son intérêt pour les nouvelles évolutions du jazz. Le quartet continuera sans lui et deviendra la formation d'Ornette Coleman qui se passe alors de piano ».

 

Paul Bley Nearness of You

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