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considérations littéraires, musicales, cinématographiques, politiques et philosophiques...
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30 juillet 2016

En attendant le prochain Fred Hersch (suite et fin)...

Fred Hersch Trio - If Ever I Would Leave You

Chronique rédigée en juillet 2014 à mon retour de Lyon. Ecoutez cet extrait, por favor, magnifique version de If Ever I Would Leave You (composition de Lerner / Lowe) pour comprendre et entendre la qualité narrative de ce pianiste exceptionnel. Belle journée à toutes et à tous.

 

Attention, pianiste rare ! Né en 1955 dans l’Ohio, Fred Hersch reste à maints égards un musicien confidentiel. D’une sensibilité à fleur de peau, son expression musicale est limpide, poétique et ne saurait laisser indifférent. Après une session « live » de toute beauté (Alive At The Vanguard en trio, publié par Palmetto records en 2012) et trois enregistrements atypiques aux configurations multiples (d'abord un duo avec le clarinettiste Nico Gori dans Da Vinci, puis un autre, avec cette fois-ci le guitariste Julian Lage dans Free Flying, deux albums sortis respectivement en 2012 et 2013, avant de graver un enregistrement invraisemblable avec le trio du pianiste Benoît Delbecq : Fun House, toujours chez Palmetto records), voici donc le dernier album studio d’un immense pianiste qui vous vrille l’âme comme un Bill Evans ou un Keith Jarrett des meilleurs jours. « Floating » (Palmetto records, juillet 2014) renoue avec la formule classique du trio tout acoustique de piano jazz (piano, contrebasse, batterie). Mouvements d’ondulations et de flottement, voilà donc le programme. Variations des climats entre ballades savoureuses et morceaux un peu plus rapides. Fred Hersch est peut-être encore méconnu, mais depuis quelques années, le fait d'avoir lu ci et là qu'il avait été le professeur de Brad Mehldau a suscité pas mal de curiosités. Son esthétique (lyrisme, recherche d’un épanouissement harmonique, explosion du chant intérieur) en comblera plus d'un. Sa précédente publication en studio avec le même rythmique s'intitulait Whirl et était sortie en 2010 sous le même label. C'est semble-t-il le format le plus prisé à l'heure actuelle. Hélas, pourrait-on dire, si peu de trios font la différence aujourd'hui...

Un disque de Fred Hersch constitue donc toujours un « événement » dans le monde du jazz. L'ancien professeur de Bradou (au même titre que Kenny Werner par ailleurs) possède un toucher remarquable, le situant parmi les pianistes les plus attachants du circuit jazzique. Son triangle est par ailleurs bien rôdé. Les trois hommes se connaissent bien et s'entendent à merveille pour développer ce genre de dialogue sans égo. La qualité du piano (cristallin et clair comme de l'eau de roche) est indéniable. Signalons à toute fin utile, que cette année, c'est sans doute le quatrième ou cinquième album dans cette configuration qui, de mon point de vue, sort vraiment du lot. Après le fameux Floodstage de John Hébert, le très délicat Stories d'Enrico Pieranunzi, le bouillonnant Root of Things de Matthew Shipp, auxquels se rajouteront le Liv de Stefen Orins et le très surprenant Double Windsor de Sylvie Courvoisier, l'album de Fred Hersch se place parmi les plus grandes réussites du genre cette année... Aux côtés du pianiste on retrouve donc sa fidèle rythmique, à savoir John Hébert à la contrebasse et Eric McPherson à la batterie (1). Si lors d'une première écoute, j'ai été peu surpris (comme d'habitude, Hersch exprime parfaitement ses sentiments, d'une manière suave et poétique), toutefois, au fil d'écoutes répétées, l’album gagne en maturité. La qualité d'une œuvre pareille s’apprécie d’abord dans une certaine discrétion... Après un temps de latence nécessaire... Loin des projecteurs et du bruit médiatique. On y reviendra forcément. « Floating » est très agréable (le titre éponyme est un chef-d’œuvre de tendresse et de musicalité absolue, dont le pianiste a le secret). Mieux, c'est un grand disque dont ne sauraient souffrir maintes réécoutes.

Toutefois, il lui manque par moments la fraîcheur d'un enregistrement « live ». Ambiance propice pour une écoute superlative et de qualité : le crépuscule, à la tombée de la nuit, quand les lumières sont tamisées... Et bien s’entourer. On écoutera ce disque seul ou avec des connaisseurs… Le mérite du pianiste est de continuer d’explorer les méandres filandreux du piano jazz. Dix thèmes composent ce recueil. D'abord pas mal de nouvelles compositions personnelles (le pianiste revient longuement à l'intérieur du livret sur les raisons qui l'ont poussé à écrire telle et telle pièce). Beaucoup de sympathie et d'affection pour sa mère et sa sœur à qui il dédicace un morceau, « West Virginia Rose ». D'autres compositions sont autant de clins d’yeux sincères à des amis musiciens, comme le pianiste Kevin Hays (« Autumn Haze ») ou encore la contrebassiste Esperanza Spalding. La sensibilité et la tendresse exprimées sur « A Speech to the Sea » et sur cette version d’anthologie de « If ever I would leave You » nous rappellent le niveau d’excellence de ce trio, appelé à devenir un classique parmi les classiques. Deux standards ouvrent et clôturent l’album dont la durée est l'équivalent d'un set (« You and the night and the Music » et « Let's Cool One » de Thelonious Monk). Clarté du propos, délicatesse poussée à son paroxysme, maîtrise des émotions, évacuation de toute sensiblerie, tout contribue à faire de cet enregistrement une réussite majeure dans la discographie du pianiste (Mais y en a-t-il eu de mineure ?). Petit défaut, au niveau du mixage et du jeu aussi, John Hébert me semble en retrait par moments. L'enregistrement donne ainsi le sentiment d'être extrêmement léché, voire beaucoup trop travaillé, au dépend d'un naturel que l'on retrouve essentiellement en live. N'oublions pas que Fred Hersch a commis deux albums « live » de toute beauté parus sous le même label : Alive at the Vanguard (2012), et Live At Village Vanguard (paru en 2003), lequel constitue de mon point de vue son plus bel album en trio. Cela dit, on (ré) écoutera avec beaucoup d'intérêt « Floating », pour peu que l'on souhaite retrouver, au milieu de ce monde de brutes, « luxe, calme et volupté »...

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(1) On retrouvera John Hébert dans deux autres albums parus cette année et présentant la même configuration que celle-ci : « Floodstage » dont j'ai parlé plus haut (on pourra toujours lire ma chronique) et enfin dans l'album de la pianiste Kris Davis aux côtés du batteur Tom Rainey (Waiting for You to Grow).

 

Fred Hersch Floating

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