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considérations littéraires, musicales, cinématographiques, politiques et philosophiques...
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19 juin 2016

Sans surprise, hélas... * * *

Brad Mehldau Trio - Little Person [Official Audio]

C’est à se demander si les chroniqueurs du New-York Times ou encore les quelques plumes qui gravitent autour de All About Jazz et de bien d’autres sites encore, commentent, se posent des questions ou font tout simplement de la pure promotion (on évoquera également John Fordham dans la rubrique jazz du fameux quotidien britannique, The Guardian, sans oublier son homologue franco-suisse Michel Contat qui ne devrait pas tarder à nous pondre un article élogieux sur cette nouvelle parution…). Inutile donc de se demander pourquoi toutes ces voix sont unanimes ou font l’unanimité, et déclarent d’un même chœur que ce « Blues and Ballads » est une heureuse réussite (Nonesuch, 2016). Le disque est à peine sorti que les éloges fusent de partout. Bien entendu, c’est leur droit le plus absolu, mais n’est-ce pas aussi parce qu’ils sont entourés de ce luxe paisible et conventionnel ? N’est-ce pas parce que la musique de Brad Mehldau nous parle avant tout de confort et d’autosatisfaction ? Quelque part, si on a le monde qu’on mérite, on a aussi la musique qu’on croit mériter… Hélas, certains ne dépasseront jamais le cas « Mehldau ». C’est à se demander donc si tous ces spécialistes et amateurs ont bien écouté ce cinquième album du trio de façon objective. Je vais sans doute râler des mots affreux tels que le ciel en sera légèrement troublé, tels que la mer en sera houleuse, mais il y a de quoi être un peu déçu ici. Brad Mehldau, quarante-six piges cette année, possède certes l'influence la plus décisive de sa génération… Tout le monde sait qu’il a relancé l’art du trio jazz à la fin des années 90 en incorporant dans son répertoire des thèmes de Radiohead et j’en passe. Il poursuit donc sa voie avec son trio tout acoustique composé de Larry Grenadier à la contrebasse et de Jeff Ballard à la batterie. Douze ans que dure l’aventure. Leur précédent album, Where Do You Start (Nonesuch, 2012), m’avait laissé sur la faim. Il aurait d’ailleurs dû s’intituler « Where Do We Finish »…

Dans l’art de la ballade et du blues, ce titre s’avère trompeur pour plusieurs raisons. L’album est loin d’être mauvais (il se rapproche même du Art of the Trio volume 1), mais n’apporte aucune originalité, tout comme le Night of Ballads and Blues de McCoy Tyner (Impulse, 1963). Un titre en rappelle tant d’autres… Mais comme me le rappelait un ami, à raison, « quand on n’attend rien, on n’est pas déçu »… Il n’y avait rien à attendre de ce dernier album en trio. Et effectivement, il n’y en a rien à attendre… Et pourtant, dieu sait que je l’ai aimé l’ami Brad. Mais que se passe-t-il donc depuis une bonne dizaine années ? Est-ce l’auditeur que je suis qui a changé ? Hors mis Ode qui m’apparait très réussi et où j’y voyais une sorte de renaissance lors de sa publication (Nonesuch 2012), je constate que le problème majeur du trio de Brad Mehldau vient de son batteur. Ce disque pose aussi la question du renouvellement. Enfin, le répertoire laisse peu de place à la surprise et au mystère. Une certaine paresse comme en témoigne cette version de « I Concentrate On You » (Cole Porter). Certains ont beau répéter que ses concerts ont cette « inspiration quasi symphonique » qui est à chaque fois « une aventure qui mène les auditeurs au plus profond de la musique », désolé, moi ça fait longtemps que je ne vais plus aux concerts du pianiste. Quant à la beauté dans ce disque studio gravé sur deux ans (ça en dit long), elle est fugace, brève, à peine esquissée… Pas vraiment inoubliable (1).

Oh, je sais, certains vont encore nous ressortir la sempiternelle expression « Less is More » alors qu’ils n’auront pas écouté le manifeste le plus probant du Wintsch/Hemingway/Oester Trio (Less Is More publié par Clean Feed en 2008). Vous l’aurez compris : rien d’urgent par ici. Mais absolument rien. C’est comme dans les derniers disques de Keith Jarrett (dont on entendra l’influence dans le jeu de Bradou, ou un clin d’œil, si vous préférez, notamment dans le traitement de « Cheryl », la composition de Charlie Parker…). Bref, du beau travail mais rien de transcendant. On attendait surtout Mehldau sur un terrain plus créatif. Car oui, je me demande seulement où elle est passée, la création. Envolée ? Volatilisée ? Braves gens, on vit un monde de consommation où tout doit être aseptisé. Pas de conflit ! Revenons sur le répertoire : un « Cheryl » joué sans panache, mais « joué simplement » me direz-vous, et le pire, c’est que si ça fonctionne, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, car effectivement, ça ronronne. La main gauche du pianiste rythme bien la mélodie, mais c’est du déjà entendu, en moins bien. De petits bonds sur le clavier, mais des envolées, des idées harmoniques, que nenni ! Le solo du batteur est anecdotique. La version de « These Foolish Things » est très moyenne, là encore. Les partisans du « Less is More » y trouveront soi-disant leur bonheur… Mais un bonheur factice, policé, très bourgeois, voire très aristocratique. La partie solo (dans son développement sans la rythmique) avait pourtant de quoi séduire (comment ne pas songer à Erroll Garner ?). Pour conclure, si ça avait été un pianiste inconnu, on aurait dit « bon, c’est du bon travail mais sans plus » (trois étoiles), mais là, diantre, c’est le trio de Brad Mehldau ! (trois étoiles, voire deux pour moi…). Un disque correct que les néophytes peuvent se procurer. Les plus exigeants passeront vite à autre chose. Il y a suffisamment de disques pour trouver ailleurs son bonheur (4). A ce propos, il est un musicien à suivre de très près, et qui dans le même genre, propose en mouillant sa chemise, une musique hautement créatrice. Je veux bien sûr parler de Michael Wollny (5).

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1) « Blues and Ballads » fut gravé au Sound Studio de New-York en deux temps, en 2012 et 2014.

2) Personnellement, je ne sauverai que la version de « And I Love Her » (John Lennon / Paul McCartney) qui est sans doute avec « My Valentine » (dernière plage) la pièce la plus réussie.

3) Je sais, je n’étais pas obligé d’en parler… Mais entre Brad Mehldau et moi, ce fut une longue histoire d’amour (1996-2016). Je crois que le divorce est définitivement entamé. Irrémédiable…

4) Qui a par exemple entendu parler de ce merveilleux pianiste qu’est Michael Jefry Stevens ? Son album For Andrew est dans l’art du trio un petit secret bien gardé (vous y trouverez ma chronique sur le site)...

5) Un concert à Coutances (le festival « Jazz Sous les Pommiers ») est toujours disponible sur le site de France Musique. Les disques de Michael Wollny parus sur le label Act étant encore un peu verts (ou pas assez convaincants de mon point de vue), on attendra sans doute encore quelques années avant qu’il ne nous propose un disque qui sorte réellement des sentiers battus. En attendant, régalez-vous avec cette captation « live »…

 

Brad Mehldau - Blues and Ballads

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