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considérations littéraires, musicales, cinématographiques, politiques et philosophiques...
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20 mai 2016

Chant du Cygne... * * * * *

Largo - Booker Ervin

 

Pochette sublime. L'une des plus belles du catalogue Blue Note. The In Between fut le disque qui me fit entrer dans l'univers de Booker Ervin (1930-1970). Ce saxophoniste de jazz singulier reste sans doute un inconnu pour beaucoup. Mort assez jeune des suites d'une maladie rénale (il n'avait pas quarante ans...), Booker Ervin a eu le temps d'aligner une kyrielle d'albums que l'amateur de jazz ne peut ignorer. Cette galette présente plusieurs intérêts. D'abord, il s'agit de son dernier album (il fut gravé en janvier 1968), c'est presque le chant du cygne (comme en témoigne admirablement Largo, une composition au climat de fin...). La qualité de l'ensemble (qualité sonore, qualité de jeu, qualité des compositions) rend par ailleurs la galette inoubliable. La singularité de cette musique oblique s'incarne dans un jazz se libérant peu à peu des contraintes du hard-bop. Le saxophoniste se sachant malade ne se fait pas d'illusion. Il jouera jusqu'au bout... Petit rappel des faits : Natif du Texas, Booker Ervin s'était fait connaître aux côtés de Charles Mingus, Eric Dolphy ou encore Mal Waldron (des albums que l'on ne saurait bouder, comme le fameux The Quest du pianiste). Sa carrière solo est peut-être moins connue mais n'en demeure pas moins passionnante. Celle-ci s'étend principalement de 1960 à 1968, marquée par deux périodes bien distinctes: la première chez Prestige est auréolée de chef-d'oeuvres, la seconde chez Blue Note peut paraître plus anecdotique. Chez Prestige, il commence à enregistrer une série baptisée Books, dont The Freedom Book constitue certainement le sommet. Le quartette constitué d'une section rythmique ultra soudée (Jaki Byard était alors au piano, Richard Davis à la contrebasse et Alan Dawson à la batterie) est d'une cohésion parfaite, d'une cohérence qui encore aujourd'hui laisse pantois les auditeurs, qu'ils soient musiciens ou de simples amateurs de jazz.

L'esthétique du quartette de Booker Ervin, si elle se distingue de celle du quartette classique de John Coltrane (sonorités, choix du répertoire), elle s'en rapproche néanmoins par la recherche d'une certaine intensité (Comment ne pas avoir l'ame vrillée à l'écoute de ce jeu personnel et d'une sincérité peu commune?.). L'année suivante, sont gravés trois autres chefs-d'œuvre: The Song Book, The Blues Book et surtout The Space Book. En 1965, il grave un album de toute beauté, The Trance. En 1966, toujours chez Prestige, deux autres pépites verront le jour: Groovin High et Heavy!!! (ces deux dernières sont enregistrées dans un tout autre format : le sextette). Bref, dans sa discographie, il y a du lourd à explorer. Fin 66, il quitte le label de Bob Weinstock et intègre celui d'Alfred Lion (Blue Note). Il gravera pour ce dernier quatre albums (Structurally Sound avec John Hicks, puis Booker 'n Brass en big band et The Tex Book Tenor avec le jeune Kenny Barron. Enfin et surtout il y aura ce The In Between avec un pianiste prometteur: Bobby Few...). Même si la galette n'est en rien révolutionnaire, ses climats sont pour le moins fascinants (Largo par exemple avec cette évocation d'un port solitaire baignant dans une brume matinale ou encore Tyra, une mélodie elle aussi inoubliable, évoquant la beauté et le mystère féminin). La qualité du répertoire (que des originaux), la vitalité des intervenants, tout contribue à faire de The In Between un disque inoubliable. Une borne dans la discographie de ce musicien incomparable.

Bref, inutile de tourner autour du pot : The In-Between dans la configuration du quintette tout acoustique fait partie des grandes réussites du saxophoniste. Ce sont des disques que l'on chérit, parce que dans notre amour pour le jazz, et comme témoignage de notre itinéraire, ils tiennent une place à part. Un dernier mot sur le contexte : la session studio fut enregistrée en janvier 1968, et ça sent la fin pour Blue Note, du moins pour le hard-bop... Alfred Lion a déjà démissionné (fin 1967) et a vendu une partie des fonds à Liberty records. Néanmoins, il restera comme assistant jusqu'en 1971. Et puis, le jazz ne se vend plus... Rudy Van Gelder est sur le point de rejoindre Creed Taylor et la clique de CTI pour un jazz plus soft, plus smooth, plus commercial... Mais rien de tel dans cette session où l'on ressent la passion, les déchirures, les désillusions (le titre éponyme en ouverture), mais aussi la transpiration, la marginalité, ainsi qu'une vitalité hors du commun. Le niveau d'exigence des musiciens les porte vers des sommets d'interprétation inouïs. Les musiciens y sont pour beaucoup, forcément. Le pianiste Bobby Few (qui rejoindra bientôt Steve Lacy puis Frank Wright et dont la discographie est si maigre... quel dommage!) est la clé de voûte de ce quintette tout acoustique (Booker Ervin y joue aussi de la flûte, du moins sur une plage, Muse). Le trompettiste Richard Williams qu'on a pu découvrir aux côtés de Gigi Gryce (The Hap'nin's et The Rat Race Blues le met sacrément en valeur). A la trompette, ses sonorités sont par ailleurs impeccables (phrasé tiré au cordeau, clarté, luminosité, attaques, art de la nuance). Quant à la rythmique, elle est composée de Cevera Jefferies à la contrebasse et de Lennie McBrowne à la batterie (pour moi, deux parfaits inconnus, mais leur performance est ici superbe, ne serait-ce que pour la finesse, l'attention et les couleurs variées qu'ils nous offrent au cours de ces six thèmes). Bref, quarante minutes d'un plaisir qu'on ne saurait bouder. Tant qu'à faire, après avoir écouté The In Between, foncez sur The Freedom Book, vous m'en direz des nouvelles...

Booker Ervin The In Between

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