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considérations littéraires, musicales, cinématographiques, politiques et philosophiques...
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22 avril 2016

objet culte : ce disque de terence blanchard sonne de mieux en mieux au fil des années...

Même sans être fan du trompettiste, je suis saisi d’enthousiasme à chaque nouvelle écoute de cette galette parue il y a une dizaine d’années. Voici un enregistrement studio fort réussi que je me passe régulièrement sans y voir le moindre ennui. Terence Blanchard, je l’ai découvert sur le tard (avec le fameux Wandering Moon publié trois ans plus tôt sur le label Sony Columbia). Sur scène, s'il a pu décevoir, notamment à Newport (juillet 2003), le protégé de Spike Lee sait concevoir ses disques en studio. Et il sait surtout s'entourer. Quand Brice Winston enfourche le saxophone ténor au cours de cette session studio de février 2003 (« Bounce » marquait alors les débuts du trompettiste pour le label Blue Note), croyez-moi, il se surpasse en virtuosité et en intensité. Il y est non seulement passionnant mais volerait presque la vedette à son leadeur qui cela dit reste très inspiré tout au long de ce set de 66 minutes qui s'incarne en un album inoubliable (j’en ai écoutés d’autres par la suite, mais peu possèdent cette urgence et cette exigence artistique). C’est sans doute, comme le laisse entendre à juste titre Thom Jurek sur le site allmusic, l’album le plus abouti dans la discographie du trompettiste, avec le tout aussi excellent « Wandering Moon ». Ce niveau d'excellence, le trompettiste la doit d’abord à l'ensemble de ses musiciens, au premier rang desquels le saxophoniste mais aussi le batteur Eric Harland, dont on ne dira jamais assez tout le bien qu'on doit penser de lui. Hélas, ce fut la dernière coopération du batteur avec le trompettiste… Harland s'envolait vers d'autres aventures (notamment aux côtés de Charles Lloyd, puis au sein du collectif de Dave Holland). C'est donc un jazz sur-vitaminé, explosif et surtout fort bien arrangé, alternant une variété de climats (certains sont tendus, à la lisière du free et d’autres beaucoup plus tempérés). Et puis, c’est une musique qu'on réécoutera toujours avec un plaisir gourmand en y découvrant sans cesse une kyrielle de richesses mélodiques, harmoniques et rythmiques. Les arômes sont gouleyants, très musqués, avec parfois une légère touche latine que les amoureux de Cuba et d’Afrique apprécieront (« Azania »). Très accrocheur tout en étant très exigeant, « Bounce » pourrait même constituer une porte d’entrée (non négligeable) dans le jazz contemporain si caractéristique de la scène new-yorkaise.

Les autres musiciens sont Aaron Parks (piano), Robert Glasper (au fender), Lionel Loueke (guitare) et enfin Brandon Owens (contrebasse). Tandis que je le réécoute, j’ai du mal à croire qu’il s’est déjà passé treize ans ! Les années passant, l'album sonne de mieux de mieux. Le répertoire est très juteux, nerveux, parfois très ébouriffant comme sur « Transform ». Une fois de plus, on soulignera la qualité narrative des morceaux (clarté, luminosité) mais aussi tout le travail accompli en amont. Dès le premier thème (« On the Verge »), l’auditeur ne peut que prêter une attention soutenue et reconnaître dans l'intensité du saxophone de Brice Winston (artiste à suivre de très près) un atout majeur. On entend alors un saxophoniste enflammé, jouant plus légato que staccato, mais prenant de sacrés risques dans ses improvisations. Au ténor comme au soprano, Winston est plus que convaincant. Son jeu ébouriffant et sa sincérité forcent vraiment le respect. Mais le trompettiste n’est pas en reste : trompette incisive et ronde, très brillante (malheureusement, au risque de me répéter, les disques qu’il a gravés ensuite pour les labels Blue Note et Concord sont beaucoup plus consensuels et inégaux, de mon point de vue en tout cas). Vous avez certainement remarqué par ailleurs, lors d’un concert ou sur quelques photos, la forme de sa trompette, laquelle a été fabriquée sur mesure par la firme de David G. Monette. Elle lui permet ces miaulements et effets inouïs. Sur les neuf pièces constituant le répertoire, les sonorités de sa trompette alternent ainsi grande précision et inflexions vertigineuses. Elles donnent vraiment à l’auditeur le sentiment d’entendre toutes les possibilités d’un instrument remarquable.

Sur les ballades par exemple, comme « Innocence », « Ballad Courage » et « Nocturna », Terence Blanchard, qui sait se faire introspectif, donne l’une des plus douces inflexions jamais entendues au cours de ces vingt dernières années (alors bien sûr, Dave Douglas et Peter Evans restent bien entendu passionnants eux-aussi, dans une esthétique moins accrocheuse). Outre une coloration urbaine perceptible, très « in », sa trompette possède une palette largement ouverte, identifiable dès les premières secondes, soutenu par le très discret Lionel Loueke, et comme on l’entendra sur le thème suivant, « Fred Brown », le thème le plus roboratif et le plus « free » de l’album (le plus « out »), très davisien dans l’esprit (on songe parfois à Miles in The Sky), Blanchard maîtrise son matériau. Il y met surtout beaucoup de feeling et évite les gimmicks faciles. Winston dans des effluves très shortériennes donne des contours enthousiasmants, et Blanchard invente au fur et à mesures de ses explorations un univers à la fois nerveux et chaleureux. Sur « Azania », aux motifs afro-cubains, la voix béninoise de Loueke scande des onomatopées d'une puissance hallucinatoire, un peu dans la tradition de quelques disques de Leon Thomas, avant que le saxophone de Winston ne rafle tout sur son passage. Ce thème est d’une beauté incroyable atteignant des paroxysmes indicibles. Enfin, surprise de taille, cette version ultra-groovy de « Footprints » (la fameuse composition de Wayne Shorter) : interprétation à la fois oblique et très identifiable. Savoureuse en tout point. Quand le disque se clôt enfin sur un trio avec uniquement le trompettiste, le contrebassiste et le batteur, on se dit que Blanchard a réellement rempli son contrat. Bref, voilà un disque abouti, très lumineux, l’un des meilleurs de la décennie précédente, propice à être écouté à n’importe quel moment de la journée. Un disque qui gagne surtout en maturité au fil des écoutes et des années. Blue Note serait d’ailleurs avisé de le rééditer (1).
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(1) vu les prix indécents affichés sur les sites de vente… cela dit pour se faire une idée, on pourra toujours l’écouter sur quelques sites en streaming, ce qui je le conçois peut être frustrant, vue le pressage en 180 ou en 320 Kbits (on sera toujours fort éloigné de la qualité WAC du cédé, qui est ici excellente).

(2) Bref, si vous ne deviez posséder qu’un album de ce trompettiste, ce serait immanquablement celui-ci.

Terence Blanchard Bounce

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